Dominique Bailly m'envoie un nouveau texte pour une nouvelle excursion dans le Feyzin d'antan et ses environs. Le voici :
Source : Lyon-Revue, 2ème année N°15, 1881
Recueil littéraire historique & archéologique imprimé à Lyon chez A. STORCK 78, rue de l’hôtel de ville.
Sixième promenade dite des Balmes viennoises :
Ci-après, les parties de cette balade qui concernent plus particulièrement Feyzin, complétées par quelques annotations (entre parenthèses).
En chemin de fer jusqu’à Saint-Fons. A pied : Feyzin, Solaize, Sérézin, Ternay, Chasse, Seyssuel, Vienne, Sainte-Colombe. Retour par le chemin de fer de l’une ou l’autre rive du Rhône.
Au-delà des dernières maisons et de la gare de Saint Fons, un chemin vicinal se détache de la grande route et s’engage au pied des collines qui sont la suite des Balmes Viennoises et qui longent le Rhône à une distance plus ou moins rapprochée.
Ces collines sont formées d’un sable siliceux incohérent, plus serré, plus compact dans les couches inférieures, et qui agglutiné par des infiltrations calcaires, s’exploite sous le nom de molasse, comme pierre de taille. On y trouve des fossiles d’animaux marins, preuve certaine de la présence des mers dans nos contrées, mais à une époque bien antérieure à celle où parut le lac d’eau, dont les alluvions de petits cailloux mal agrégés recouvrent la surface de la plaine du Dauphiné, et la molasse marine des coteaux de Saint-Fons.
On y a creusé plusieurs carrières ; la plus importante et la plus curieuse, en même temps, s’enfonce horizontalement dans le flanc de la balme. Hommes et chevaux y travaillent à l’aise. Le jour n’y pénètre qu’à une certaine distance ; plus loin, la lampe devient nécessaire. Les voutes sont soutenues par d’énormes piliers qu’a réservé la pioche des mineurs : on se croirait dans un vieux cloitre désert, ou plutôt dans un de ces temples monolithes de l’Inde, qui ont fourni aux voyageurs de si intéressantes descriptions (Champignonnières).
Les villageois ont mis à profit ces profondes excavations ; ils s’en servent d’écuries et de caves, où ils conservent frais les légumes qu’ils vont vendre sur les marchés de Lyon (de même à Feyzin, les caves du château de Feyzin, en bas des gorges, auraient été creusées dans la colline).
Sur le penchant des balmes on a planté un fouillis d’acacias aux branches épineuses et aux racines rampantes, à l’effet de prévenir les éboulements. Au pied, quelques maisons rustiques, le chemin vicinal et la ligne ferrée, séparés par des fossés d’eau vive dont quelques parties ont été transformées en cressonnières. A droite, au-delà, la plaine basse, unie, coupée de lônes et de marécages, s’étend jusqu’au Rhône, qui coule à une demi-lieue de distance (2km).
A mesure que l’on avance, les collines s’adoucissent ; à leur falaises dénudées succèdent une nature riante, de jolies prairies, des champs cultivés ; partout des noyers, des arbres fruitiers et des vignes de meilleure mine que celles de tout à l’heure. Nous voici devant un hameau de modeste apparence : la Belle étoile ; puis à Feyzin, après avoir traversé le chemin de fer par un passage à niveau.
FEYZIN
La commune est divisée en plusieurs quarts ou quartiers disséminés dans la plaine ou le long de la grande route qui se développe sur la hauteur.
L’église s’élève sur un méplat de la colline, au-dessus de la gare ; elle est d’un style roman très simple, avec un clocher surmonté d’une flèche élancée (premier clocher qui sera détruit par la foudre le 20 mai 1897).
Carte postale appartenant à Robert Sublet reproduite dans "Feyzin au passé simple", de Georges Saunier
Deux bâtiments affectés au presbytère, à la mairie et à l’école communale, se trouvent à ses côtés.
La vue dont on jouit de cet endroit-là est aussi intéressante que variée ; elle embrasse la vallée du Rhône depuis Fourvière et Sainte-Foy jusqu’aux coteaux qui dominent Givors. Pour premier plan, voici Oullins, Pierre-Bénite, Yvours, Le Perron, Saint-Genis Laval, Irigny, dont le clocher servit longtemps de station télégraphique ; une foule de beaux châteaux et de jolies maisons de plaisance éparpillées au sein de ce riant paysage occupent des plans plus ou moins éloignés. La chaîne bleuâtre des montagnes du Lyonnais borne l’horizon du côté de l’ouest.
Un fort immense, à peine terminé (il a été édifié entre 1875 et 1877), s’élève à l’orient de Feyzin-d’en-Haut ; il domine la contrée, et, pouvant croiser ses feux avec ceux du fort de Bron, défend de ce côté les abords de Lyon. Le fort que l’on est en train de construire sur les hauteurs d’Irigny complètera la défense de la vallée du Rhône.
L'entrée du Fort de Feyzin (photo webmaster)
Le Feyzin-d’en-Bas, autrement dit le quart des Razes possédait une ancienne église et un vieux château, démolis l’un et l’autre pour faire place à la gare du chemin de fer (tous deux figurés sur la carte de Cassini - XVIIIe siècle).
A ce château se rattache un souvenir intéressant, mais peu connu. En 1790, Joséphine de Beauharnais et sa fille Hortense revenaient de la Martinique que désolaient des troubles politiques et la révolte des noirs ; elles séjournèrent deux mois au château de Feyzin, où Mme de Brizon les reçut avec la plus cordiale hospitalité. M de Brizon fils, officier de la marine royale, commandait le vaisseau qui avait ramené de cette colonie les nobles voyageuses.
SOLAIZE ET SEREZIN
Nous continuons de longer le pied des Balmes, dont la déclivité disparait sous de maigres taillis. La plaine à droite, sablonneuse, unie, sans protubérance aucune, est couverte d’assez belles cultures ; mais elle a affaire trop souvent à un terrible ennemi. Le Rhône, dans ses crues périodiques, s’y livre à de fougueuses divagations ; peu d’arbres, si ce n’est ça et là une rangée de peupliers le long de quelques fossés de dessèchement ; peu de maisons ; mais de rares cahutes en roseaux pour abriter en cas de mauvais temps bergers et cultivateurs : maigre butin pour le touriste. Hâtons-nous dons de quitter cette plaine, et, traversant le chemin de fer, de nous engager dans un sentier ménagé sur les flancs de la falaise, d’où en quelques minutes nous atteignons le plateau supérieur, et ne tardons pas à apercevoir l’humble village de Solaize, aux maisons dispersées dans les champs selon le caprice ou plutôt les convenances des habitants…
(Dans ce village deux curiosités : une poype et une borne milliaire. Le chemin de la Côte-Bayard permet ensuite de rejoindre le vallon de l’Ozon qui coupe la chaîne des Balmes Viennoises)
La borne milliaire de Solaize (photos Archéolyon)
… Dans leur petit parcours, les Balmes viennoises offrent au géologue un intéressant sujet d’études. Au diluvium alpin de la plaine du Dauphiné, à la molasse de Saint-Fons, ont succédé le poudingue lacustre de Feyzin (visible au bas de la montée des gorges), et, de l’autre côté de l’Ozon, la roche anthracifère de Ternay, qui contient çà et là des gisements houillers, dont le plus considérable est exploité à Communay.
TERNAY
… A peu de distance de l’église, sur le versant de la colline, on voit l’ancienne demeure de la famille des comtes Dubourg, dont l’un des membres fut le dernier gouverneur, pour le roi, de la ville de Crémieu (l’actuel château de la Porte).
Cette propriété remarquable par ses ombrages, ses eaux, et son panorama, appartient maintenant à M. Henri Fleury, philosophe, poète, écrivain. M. Fleury est l’un des hommes que la nature a littéralement dotés. Ajoutons que son fils Hector, avait hérité de l’esprit et des talents de son père ; mais une mort prématurée l’a ravi à l’affection de ses nombreux amis…
Le Château de la Porte à Ternay (photos site Ternay)
Cette famille eut auparavant des attaches feyzinoises :
Jean Baptiste Magdelaine Fleury (1758-1841), bourgeois de Feyzin fut l’un des représentants du Tiers Etat pour l’élection de Vienne à l’assemblée des trois ordres tenus à Romans en 1788 (source : PV de l’assemblée des trois ordres des états provinciaux du Dauphiné). Il avait été le dernier châtelain de FEYZIN pour le compte de la Dame des lieux : la comtesse de Brizon, née de Chaponay.
Il a été par la suite membre de la chambre des députés du 2 mai 1809 au 4 juin 1814 puis du 4 juin 1814 au 20 mars 1815. Il fut aussi juge de paix du Canton de St Symphorien d’Ozon et président du Collège électoral de l’arrondissement de Vienne. Il a été fait chevalier de la légion d’honneur le 26 octobre 1814.
Rentré dans la vie privée, il se retira à TERNAY où il décéda à l’âge de 84 ans. Il était le fils de Hyacinthe Fleury, avocat au Parlement de Grenoble et de Simone Marguerite Guillermin de Feyzin. (Source : base de données des députés français depuis 1789).
La balade continue ensuite par Chasse, puis Seyssuel et Estressin, avant d’arriver en vue de Vienne
Panorama sur la vallée vers 1960 (carte postale CIM)
... et un peu plus tard, toujours dans les années 60 (Delcampe)
Un nouveau panorama après l'installation de la raffinerie (carte postale)
Des liens pour en savoir plus sur Solaize et Ternay :
https://www.mairie-solaize.fr/-Histoire-Patrimoine-.html
http://www.ternay.fr/Le-chateau-de-la-Porte.html
Je n'ai pas d'illustration pour les Champignonnières. J'avais vu ce site très curieux et, lorsque j'ai visité les Baux de Provence, j'ai tout de suite repensé aux Champignonnières (toutes proportions gardées!), près de la voie ferrée, en allant à Saint-Fons...
Remerciements à Dominique Bailly pour ses chroniques toujours bien documentées et commentées...