Le quartier des Razes

Publié le par Oxymore

Années 1910 ? La voie ferrée comporte quatre voies (Photo Combier, Mâcon)

Le quartier des Razes était mon quartier puisque nous habitions à côté de la Pharmacie dans la rue des Razes. Georges Saunier fait remonter l’origine de ce nom aux razes, « nombreux lits de rivières » qui traversaient ce quartier. Dans ma jeunesse, j’avais entendu dire (mais je ne sais plus par qui) que ce lieu de Feyzin était recouvert d’arbres que l’on avait « rasés » pour construire là les premières habitations qui constituaient le quartier. Rappelons-nous que le cœur de Feyzin, au XIXe siècle, devait se trouver du côté de l’actuelle rue Hector-Berlioz, que l’on avait appelé précédemment la rue de l’Ancienne Mairie (et que dans ma famille on appelait le « Chemin ») : l’église, le cimetière (sur l’actuel quartier « Le Mozart »),

L'ancien cimetière (Photo Combier, Mâcon)
 la mairie avec sa place et la croix de 1860, et certainement quelques auberges ; il y avait aussi un château, racontait Georges Saunier, près de l’église (chemin Sous-Gournay), sans doute une grande demeure dont je me souviens des rares ruines (un portail avec ses montants). Tout cela a disparu lors de la construction de la voie ferrée. Qu’est-ce qu’ils avaient donc, ces technocrates, avec leur manie de tout détruire pour le « progrès » ??

Revenons aux Razes, si je puis dire. Près de la gare, se trouvait un café, « de la Gare » bien sûr.

Année indéterminée : 1905 ? 1910 ? (Photo DR)
Sur cette photo, on aperçoit entre le café un coiffeur (jusque dans les années 1960 ce commerce a fleuri ici) et la maison de ma grand-mère. On a supposé, dans ma famille, que la personne à la fenêtre était ma grand-mère maternelle. Après une cour, véritable cour des miracles parfois au fil des années (je n’y ai jamais vu autant de chats de ma vie), où se trouvait une ferme, venait la boulangerie de ma grand-mère (ce fut d’abord un bureau de tabac). Toute jeune, ma mère portait à pieds le pain « dans tout le pays » (c’est à dire dans tout Feyzin, y compris le Haut) comme elle nous l’a si souvent dit. Ma grand-mère qui fut veuve à la quarantaine porta à bout de bras ce commerce, ce qui explique peut-être la notoriété qu’elle avait acquise dans le quartier. Jusqu’à un âge avancé, ma grand-mère, la mère Ayme, faisait encore parler d’elle. La boulangerie fut fermée et devint la maison familiale, où mes sœurs et moi avons vécu avec nos parents.

 

Années 1930 ? (Photo Combier, Mâcon)

La seule rue des Razes était une des rues les plus commerçantes de la commune. Dans les années 1960, il y avait (en plus des commerces cités, et peut-être que j’en oublie) : un marchand de cycles (Chamontin), un bureau de tabac, une épicerie (Barnoin, « la Catherine »), une boucherie, une autre épicerie (Roland), une charcuterie, une Caisse d’épargne (un peu plus tard), une quincaillerie (Roux), un magasin de confection (Barnoin), trois autres cafés : Béry (Claudius Béry, résistant, fut exécuté par les Nazis en 1944, son nom fut donné plus tard à la place des Razes), Richetto et Perret ; mon oncle Adolphe Perret possédait aussi l’hôtel, et par la suite, son gendre, Serge Specty, géra le cinéma Rex pendant de nombreuses années. J’allais dans ce cinéma de quartier (genre « La dernière séance » d’Eddy Mitchell) presque chaque semaine, j’y ai vu tant de bons films et de nanars, plein de films avec Fernandel, des westerns, des péplums, et j’en passe. L’ancien cinéma, géré par la mère de mon oncle Perret, Rose Deiro, se trouvait au début de la rue Georges Ladoire, sur la place des Razes. J’étais tout petit quand mes parents m’y emmenaient le samedi soir, et je revoyais le même film le dimanche après-midi (j’étais sûrement moins endormi) avec ma grand-mère. Le cinéma de la « mère Deiro » (vous avez remarqué, on disait souvent « la mère Machin », « le père Truc ») était parfois à lui seul un film ; il y faisait un froid de canard en hiver, malgré le gros poêle qui rougeoyait pas loin de l’écran ; les bancs (il n’y avait pas de fauteuils) y étaient des plus spartiates ; le film cassait plusieurs fois par séance, ce qui faisait pousser par les jeunes des hurlements (il paraît même qu’une fois, les jeunes avaient cassé un banc pour alimenter le poêle, tellement il faisait froid, enfin on m’a raconté ça, je ne sais pas si c’était vrai) ; la gérante jouait de son autorité pour essayer de mettre un peu d’ordre dans la salle. Très folklo… Je me souviens aussi que le dimanche, à la sortie du cinéma, ma grand-mère commérait pendant un temps qui me paraissait interminable avec Madame Deiro, et je soufflais jusqu’à ce qu’elles n’en pouvaient mais de dire des méchancetés sur plein de monde.

La rue des Razes, après l’arrivée de la raffinerie, prit progressivement une autre tournure. Beaucoup d’ouvriers, d’employés, de sous-traitants, fréquentaient la rue pour le déjeuner. Les uns après les autres, les commerces fermèrent et « ma » rue des Razes devint d’une tristesse pitoyable, surtout le dimanche. A partir de 2001, le quartier commença à être réhabilité.

A l’époque où il n’y avait pas la télé dans les foyers (eh oui, les jeunes du XXIe siècle, ça a existé !), les habitants des Razes sortaient l’été, s’asseyaient parfois devant chez eux pour voir passer les gens qui se rendaient à la vogue du 15 août ou aux festivités de la Gravière (j’y reviendrai, bien sûr). On se disait bonjour, entre voisins, on parlait, on ne courait pas (seuls les enfants couraient, mais pour s’amuser), on n’avait pas peur des quelques voitures qui passaient…

Tout ce quartier était bien vivant. Un jour, mon père changea la porte d’entrée de la maison. La nouvelle porte comportait des carreaux multicolores, et nous avons gardé cette porte longtemps. A l’autre bout du trottoir, la Catherine, qui passait plus de temps sur le pas de son épicerie qu’à l’intérieur, cria à mon père qui était à l’oeuvre : « Alors, vous faites une cathédrale ? » Mon père, qui avait le sens de la répartie, lui répondit : « Non, non ! Je fais un bordel ! »…


L'actuelle rue du 11 Novembre ; il n'y a pas grand-monde, n'est-ce pas ? (Photo Combier, Mâcon)

En juillet, on allait voir le Tour de France qui passait sur le CD 4 (actuelle rue du 11 Novembre). C’était grand jour de fête, je restais avec mon père, il y avait un monde fou. Nous avons vu passer en coup de vent Jacques Anquetil et Raymond Poulidor. Un dimanche (mais je ne saurais dire quand exactement, peut-être en 1964 ou 65), le cortège présidentiel du Général De Gaulle passa sur le CD 4. Je revois encore le grand homme, debout dans la limousine, saluant la foule. Mais la voiture était passée beaucoup trop vite, eu égard au temps passé à attendre. Savez-vous (les jeunes) qu’un autre président a foulé le sol feyzinois ? C’était d’ailleurs sur la place Claudius-Béry, à la fête de la Rose. François Mitterrand, venu à l’invitation de Marie-Jo Sublet, nouvelle maire socialiste de Feyzin, allait devenir président de la République trois ans après.  

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C
La maison oú tu vois ta grand mère et bien moi je suis né là il y a soixante dix ans mais dommage que Feyzin a changé si vite
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O
Oui Jean-Pierre, tout ça a bien changé... Merci pour ta visite sur le blog et pour ton commentaire. Amicalement<br /> @lain
L
Trop contente, mon cher Oxymore, du com' de Thierry.<br /> Et pour toi, et pour moi !<br /> Là où on voit que Thierry, qui a le même âge que moi, ne "brillait" pas dans la fumée des locos (comme moi).<br /> Donc, quand on sera gones, on sera trois à grimper sur la passerelle. T'inquiète, Thierry, je t'expliquerai. Et en face de chez Aslanian, tu as raison, c'était la Caisse d'Epargne !
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O
Merci pour votre commentaire, qui complète mon article. Ah oui, le dentiste, c'était la terreur du quartier, j'entends encore le bruit terrifiant de sa roulette, aïe !...
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T
J'ai habité cité des razes de mai 1963 à décembre 66 puis de décembre 67 à Août 71<br /> J'allais à l'ecole primaire près de l'autoroute vers la piscine (me souviens de noms d'instituteurs : Mr Henri, Mme Deceivre et Mr Mussano le directeur). Rue des razes le cinema ("la cuisine au beurre", fernadel, Bourvil mon premier film vu au cinema; siege en sky rouge et ossature bois), bien sûr du marchand de vélos, du tabac ou on dépensait un peu de nos sous prévus pour la quête à la messe et détournés pour l'achat de bonbons, et surtout de la boucherie Civard, dont un fils (Christian ?) était avec moi à l'école. je me souviens d'une passerelle au dessus de la voie ferrée ou on allait se faire peur dans le panache de fumée des locomotives a charbon. Et d'un dentiste sur la place avec sa roulette à courroie dont le bruit sifflant faisait peur avant meme qu'il vous touche une dent !<br /> au debut de la rue, le pan coupé était une épicerie, avec une Vedette (modele Renault ?) noire souvent garée devant<br /> Sur la route qui menait a la cité, il me semble qu'il y avait un cordonnier, Mr Aslanian. à coté un coiffeur et en face la Poste ou peut-être une caisse d'Epargne.<br /> Bonjour à Marie-Paule, 2 rencontres en quelques semaines apres 4 décennies ;-)
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M
Continue, c'est trop bien. Je me régale...<br /> Sais-tu que la charrette sur la 3è photo, devant le café, est celle de mon arrière grand-père(Léon Chabert de St Sym) qui livrait le vin dans tout le canton. C'est le 2è homme assis autour de la table.<br /> La lampe de la charrette sert encore de lampe extérieure chez mes parents.
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