Le voyage à Marseille

Publié le par Oxymore

A l'approche des vacances d'été (d'hiver pour nous autres Réunionnais) ,voici un texte paru dans l'Almanach de la Société des Amis de Guignol (1972)


LETTRE D'UNE MERE A SON FILS

Mon cher Toinon,
Te m'avais demandé de te raconter comment que s'était passé mon voyage vers la côte de l'Azur. Je peux pas tout t'espliquer si tant tellement j'ai vu de choses canantes.
Dans le compartiment du train ousque je m'étais faufilée, y avait si tant de monde et de valises qu'on pouvait même pas avancer jusqu'aux vatters-causettes. Fallait enjamber des hauteurs de un mètre cinquante pour franchir ce barrage.
Une grande fenotte, habillée d'une robe chemisier à ramages, de couleur blanche et marine, se propageait en donnant des grands coups de son coude pointu dans les clinquettes des gensses qu'étaient en cuchon dans le collidor. Sus les bras ellle tenait un petit chien noir aux poils frisés et à la gaugne toute carrée. "Allons, allons, qu'elle lui disait d'une douce voix, patiente un peu. C'est pas loin, nous vont arriver !" Arriver ousque donc, que je pensais ? Aux vatters, bien sûr. C'est que le petit chien avait faute. Mais que de sicotis pour approcher de la porte ! Et pis, elle était farmée acque dessus écrit : "Occupé". A la fin des fins, tout se termina bien en ce lieu de soulagement. Et c'te pauvre bête elle était si tellement contente, et elle se débattait si fort dans les bras de sa mémère, que subitement tout à coup, v'là-ti pas qu'elle lui échappe et se met à couri dans le collidor... Elle file entre les jambes des voyageurs et des voyageuses, qu'on pouvait pas la rattraper. Des mamis lui envoyaient comme ça en quatre-mimi des coups de pieds pour le faire japper. Et la pauvre fenotte s'en voyait comme tout pour le reprendre. C'est que c'était pas facile de couri dans le passage occupé par de grosses dondons ou des hommes bedonnants que tenaient tout le chemin. Et tout le monde y riait, riait ! "Je voudrais ben vous y voir à ma place. - A vot'place j'emmènerais pas c't'animal dans un train. Il énerve tout le monde et leur casse les pieds. Quand y voit une fenotte en petalon, il aboie à la lune en la regardant de dos, pas la lune, mais à la fenotte. C'est d'ailleurs tout comme. - Malhonnête, va ! Mon chien a plus de retenue que vous." Si bien qui z'en seraient venus aux mains si le chien et sa maman n'étaient pas descendus à l'estation-gare du Col de Fréjus.
Enfin v'là Marseille, la gare du Grand-Charles, qu'on dit. Juste ce jour-là, qu'est le 5 de juin, c'est le lendemain du jour de la piquette que Marseille a donnée aux Corsaires, au fot-de-balle. Y n'avaient qu'une manifestation joyeuse, bruyante de jeunes gones de Marseille ; Arabes, Portugais et autres autant que Marseillais d'ailleurs ! On s'entendait plus si tellement ce monde y criaient, faisaient peter de pétards, jouaient de clairons, de trompettes qu'on se serait cru en Jéricho. Comme tu penses, mon pauvre Toinon, à Marseille ça fait encore plus de bruit qu'ailleurs. Nous autres que débarquions, on savait même pas de quoi y retournait. On croyait qu'on venait arrêter les trains. Et les trains pourtant ça s'arrête tout seuls quand y a la grève ! Oui, mais c'est les gensses que s'arrêtaient, y pouvaient plus descendre ! Les gones de Marseille y criaient comme ça : "Vive l'O.M., vive Marseille !" et y portaient pas de drapeaux rouges ni noirs mais de vrais drapeaux français. Que de vacarme dans c'te gare ! Tout le monde arreluquait du train tous ces jeunes excités. Les Yonnais qui parlent plutôt à voix de basse et en quatre-mimi et les gas du Nord en restaient muets comme des estatues. Enfin c'te grande bande se précipite dans les escayers de la sortie de la gare. Ca grouillait comme des crabes dans un panier. Et moi je descends derrière eux. J'avais faim et surtout soif.
Dans les escayers, je vois-ti pas un restaurant-casse-croûte. Je m'asseye et j'attends que le patron vienne me demander quoi que je veux. Mais y parlait, y parlait... "Les ceusses qu'ont des tics, qu'y disait, ah ! peuchère, on croit qu'y font de l'oeil à la femme des autres. Et les maris se mettent en colère. C'est pas de la faute de ceusses qu'ont des tics. Faut pas leur en vouloir. -Oué, mais ça trompe les hommes et les femmes aussi, que réplique son copain. - S'ils louchent, y n'ont qu'à se faire repérer. - Comment repérer ? - Non, opérer. Te comprends donc rien, spèce de fada ? - Oh ! ça va, ça va." Et tout en barjaflant le patron y vient vers moi ; "Quoi que vous voulez ? - Un casse-croûte et un pot de beaujolais, que je lui dit. - Y a pas de beaujolais ici, qu'y me répond, c'est pas assez fort. Ca n'a pas de goût !" J'allais lui sauter aux yeux. Mais valait mieux s'arretenir, pas vrai ? "Vous avez un stick" qu'y me dit. - Comment, un tic ? Je n'ai pas de tic moi. Donnez-moi un cent-de-miche et du vin de pays. Il me l'apporte en me disant : "V'là votre affaire." J'avais d'abord compris qu'y me disait que j'avais un tic, quand je sais ben que j'en ai pas. Mais c'est en sortant de l'esnack-Bar que j'ai compris de quoi il retournait en lisant le menu à 6,50 : un steak, de pommes frites, de salade, de fruits ! Et je savais pas moi que "steack" ça se prononce "stick" que j'avais mélangé avec "tic". Tu le savais, toi qui sait tout ? Je comprends pas l'allemand moi ! Entre faire que faire, mon cent-de-miche et mon quart de gros rouge y m'ont coûté quatre francs cinquante, quasiment aussi cher qu'un vrai menu qu'on paye 6,50.
Si te vas à Marseille, te faut apprendre les langues étrangères. Je t'en dis pas plus, mon gone. Je te raconterai la suite acque une vive voix. Mais méfie-toi des tics.
Ta mère pour la vie.

C. Piquebise (P.c.c. E. CHAPUIS)



Chers lecteurs, le blog va se mettre aussi en vacances. "Les Gones, bien le bonsoir, ménagez-vous, conservez-vous bien, et quoi que vienne, prenez tati et autrement, à la revoyance pour l'an que vient !"

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