Recette

Publié le par Oxymore

Pour Noël approchant, pas de conte de Noël feyzinois, à moins de reprendre ceux de Georges Saunier, publiés dans ses ouvrages, "Feyzin au passé simple".
Non, cette fois, je vous donnerai une recette, celle du "VRAI FROMAGE FORT DE LA CROIX ROUSSE" :
" On achète une livre ou deux de fromage bleu bien fait ; on enlève la croûte et on la met dans un pot de terre. Il faut vous dire qu'il est important de prendre un fromage gras, dépourvu de vesons, qu'à l'Académie Française on appelle asticots. Non que l'asticot soit à dédaigner par lui-même, mais comme celui-ci périt nécessairement dans le fromage fort, étouffé par les vapeurs de la fermentation, il devient peu ragoûtant. Ce n'est plus l'asticot aux tons d'ivoire, bien en chair, apétissant, qui gigaude sur l'assiette et qu'on savoure avec délices, mais une espèce de pelure grisâtre : ce je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue dont parle Bossuet. Le fromage bleu est alors arrosé de vin blanc sec et bien pitrogné (*) avec une cuillère en bois. Lorsque la pâte est à point, on râpe du fromage de chèvre bien sec avec une râpoire et on l'ajoute au levain jusqu'à ce que le pot soit à peu près plein. On continue de mouiller avec le vin blanc. Le fromage fort est fait.
On le reçoit à mesure que le pot se vide, toujours avec du fromage de chèvre râpé et du vin blanc sec. De temps en temps, lorsqu'on s'aperçoit qu'il devient moins gras, on verse dessus un bol de beurre frais qu'on fait liquéfier au four. Il ne faut pas que le beurre soit trop chaud.
Première remarque importante : ne jamais mouiller le fromage avec du bouillon, ce qui lui donne un goût aigre.
Dernière remarque importante : brasser tous les jours le fromage avec une cueillère [sic] de bois.
Un grand pot ainsi préparé et entretenu convenablement dure depuis l'automne jusqu'à l'été.
Vous le voyez, un pot de fromage fort bien réussi vaut seul un long poème. Aussi une ménagère soucieuse n'oublie-t-elle jamais au printemps d'en conserver un petit pot pour l'hiver suivant. Elle remplit celui-ci aux trois-quarts, fait fondre une livre de beurre et le verse presque froid sur le fromage. Elle descend ensuite le pot à la cave. Cette couche épaisse de beurre fondu est placée là à seule fin d'empêcher l'air extérieur de petafiner [gâter, gaspiller, note de l'auteur] le fromage fort. On entretient ainsi le ferment sacré avec une piété jalouse qui rappelle celle des prêtresses de l'antiquité conservant le feu sur l'autel de Vesta. Je connais une famille à Fleurieu-sur-Saône où le fromage fort est conservé depuis 1744. Lorsqu'une fille se marie, elle reçoit avec la couronne de fleurs d'oranger le pot précieux qu'elle transmet à ses enfants. Si dans beaucoup de familles le fromage fort ne remonte même pas à un siècle, il faut l'attribuer au horreurs de 93 qui firent tout négliger."

Georges Rapin, "La Croix-Rousse à travers l'histoire", éd. Les Trésors de la Grande Côte, 1983

(*) "Pitrogné" peut être traduit du lyonnais par "mélangé avec les doigts"


Bon appétit et joyeux Noël !

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